jeudi 29 octobre 2015

L'information scientifique, facteur de paix?


« Les enjeux de la paix au-delà de 2015 » : c'était le titre de la conférence organisée mercredi 28 octobre 2015 par l'Institut Afrique Monde. L'orateur principal en était Frederico Mayor, ex-directeur général de l'UNESCO (de 1987 à 1999), et aujourd'hui président de la Fondation pour une culture de la paix, qu'il a créée en 2000. En réponse à une question sur l'éducation, il a insisté sur l'importance de celle-ci pour la démocratie. J'y ai trouvé un encouragement, même indirect, à mon engagement de vulgariser la science africaine.

L'éducation, a en effet précisé Frederico Mayor, ne doit pas concerner que les plus jeunes. Les adultes, en particulier ceux qui sont en situation de prendre des décisions pour la collectivité, doivent aussi être éduqués, changer leurs façons de faire. Ce serait, sinon, une bonne façon de prolonger un statu quo : le temps qu'une nouvelle génération arrive aux commandes, les responsables actuels pourraient continuer impunément à diriger un monde dans lequel chaque jour, 20 000 personnes meurent des conséquences de la faim tandis que 3 milliards de dollars sont dépensé en armement.

Etre éduqué, a-t-il poursuivi, c'est selon la définition de l'UNESCO, être libre et responsable. Libre de prendre ses propres décisions, et responsable de ces décisions devant les autres, présents et futurs. Une piste qu'il a indiqué, c'est le recours aux experts pour prendre des décisions informées. Comment, a demandé Frederico Mayor, des parlementaires peuvent-ils légitimement légiférer sur les OGM ou l'énergie nucléaire sans associer à leurs débats des scientifiques spécialistes de ces questions? Il n'a pas parlé de vulgarisation, mais on n'en était tout de même pas très loin.

L'intégralité de la conférence a été filmée. Nul doute qu'elle arrive prochainement quelque part sur le Web. Je renverrai vers le lien à ce moment là.

dimanche 25 octobre 2015

Energie solaire


Un réseau de chercheurs africains
veut développer la recherche sur l'énergie solaire.


Comme je l'ai annoncé dans le descriptif de ce blog, celui-ci me servira régulièrement à présenter les contours d'un projet lié à l'information sur la science qui se fait en Afrique et par des Africains. Après deux premiers billets d'actualité sur des travaux scientifiques, il me semble opportun de commencer à éclairer ce second point.

Au salon World Efficiency, après la remise des trophées de la recherche publique énergie environnement climat, l'IRD a tenu une petite conférence de presse, en présence de son PDG Jean-Paul Moatti. Cela m'a permis d'échanger avec les chercheurs de cet organisme et de l'université de Ouagadougou, au Burkina Faso, récompensés par l'un des trophées. Cela m'a aussi permis de rencontrer Arouna Darga, de l'université Pierre-et-Marie-Curie, venu féliciter son ancien professeur François Zougmoré.

Arouna Darga m'a expliqué qu'il mène des travaux de recherche dans le domaine des dispositifs photovoltaïques, qui convertissent l'énergie lumineuse du Soleil en énergie électrique. Il travaille au sein du Laboratoire de génie électrique de Paris, installé à Gif-sur-Yvette. Et l'équipe dont il est membre participe à l'Institut photovoltaïque d'Ile-de-France, partenariat entre des sociétés industrielles et des organismes publics de recherche. Il se trouve que je connais le directeur scientifique de cet institut, et même, d'ailleurs, le président. Cela a facilité le contact.

Quand j'ai parlé science en Afrique à Arouna Darga, il a bien voulu m'écouter. Et il m'a indiqué qu'il est membre (et même représentant pour la France) d'un réseau de chercheurs africains nommé ANSOLE (acronyme anglais pour « réseau africain pour l'énergie solaire »). le coordinateur du réseau est Daniel Ayuk Mbi EGBE, de l'université Johannes Kepler de Linz, en Autriche.

Je n'ai pas pris le temps d'enquêter sur ce réseau au-delà d'une visite sur son site Web. Si j'en crois celui-ci, il a des représentants dans une soixantaine de pays dans le monde, dont une bonne partie en Afrique même. Avec le soutien de l'ICTP, centre international de physique théorique installé à Trieste, en Italie, et de la TWAS (Académie des sciences du monde), il finance des voyages, des équipements, de la documentation, ainsi que l'organisation de journées scientifiques.

ANSOLE a ainsi réuni ses membres à Arusha, en Tanzanie, en juillet dernier. Le prochain rendez-vous est fixé au début de février 2016, à Sharm El-sheikh, en Egypte. INCORE 2016, conférence internationale sur l'énergie renouvelable fêtera les 5 ans du réseau. Les chercheurs qui souhaitent y présenter une communication doivent être en train de peaufiner leurs résumés : la date limite de dépôt est le 11 novembre prochain.

Pour ce qui me concerne, j'aurai d'autres voyages à faire à la même période, et je ne pourrai pas goûter aux joies de la science dans le cadre très agréable de la station balnéaire égyptienne. Mais je vais quand même essayer d'y avoir une correspondante ou un correspondant pour pouvoir en parler, sur ce blog ou sur un autre support qui pourrait être créé d'ici là. Prenons rendez-vous pour février.

vendredi 16 octobre 2015

Téléphone et pluies


Le réseau de téléphonie mobile
permet de mesurer les précipitations.


Les variations des signaux échangés par les antennes relais d'un réseau de téléphonie mobile permettraient-elles de connaître les quantités de pluie tombées dans la zone qui les sépare? C'est la question que se sont posée Marielle Gosset et Frédéric Cazenave, de l'Institut de recherche pour le développement, et François Zougmoré, de l'université de Ouagadougou, au Burkina-Faso. La réponse positive qu'ils ont apportée dans le cadre du projet Rain Cell Africa vient d'être récompensée par l'un des Trophées de la recherche publique énergie environnement climat, décernés par l'ADEME et ReedExpositions France, qui leur a été remis mardi 13 octobre à Paris.

Quand il pleut, connaître rapidement et précisément les quantités d'eau qui sont tombées sur des zones particulières est important pour l'agriculture, pour la gestion des réseaux d'évacuation, voire, dans des cas extrêmes, pour lancer des alertes aux inondations. Dans les pays du nord, tels que la France, des mesures sont réalisées à l'aide de radars, qui couvrent l'ensemble du territoire. Mais ce type de dispositif est coûteux, à installer et à maintenir.

Les micro-ondes utilisées par les radar ne sont heureusement pas une exclusivité de ces dispositifs. Les antennes relais des réseaux de téléphonie mobile communiquent aussi en échangeant ce type de signaux. En outre, comme l'explique François Zougmoré : « Afin d'assurer un service de bonne qualité, les opérateurs suivent de façon permanentes les variations de l'intensité des signaux qui transitent entre ces antennes. Il y a de nombreuses causes d'atténuation de celle-ci, mais la pluie est la principale. » Lorsque les micro-ondes traversent une zone de pluie, une partie est en effet diffusée par les gouttes liquides.

Grâce à la collaboration de l'opérateur Telecel Faso, les scientifiques ont eu accès à ces données techniques. Ils ont mis au point des algorithmes permettant de remonter, presqu'en temps réel, aux quantités de pluie mises en jeu. Puis ils ont testé la méthode, sur une distance de 29 kilomètres entre deux antennes, pendant toute la saison de mousson de 2012.

Des relevés directs de hauteur de pluie sur le terrain ont montré que la méthode fonctionne. Elle permet de détecter 95% des jours de pluie, avec une erreur de seulement 6% dans les quantités pour l'ensemble de la saison. Mieux, les chercheurs ont démontré qu'ils avaient une bonne précision pour une résolution temporelle de 5 minutes seulement. Ils ont publié ces résultats en août 2014.

Leurs objectifs, aujourd'hui, sont de deux ordres. Scientifiquement, d'abord, ils veulent encore améliorer leur méthode. « Pour le moment, nous savons quantifier ce qui est tombé entre deux pylônes, reprend François Zougmoré. Mais comme il y a une distribution des pylônes sur le territoire, nous voulons, avec des méthodes de spatialisation, améliorer la précision sur les endroits où tombe la pluie. »

Ensuite, ils comptent bien que leur méthode ne reste pas une curiosité. D'abord ils imaginent une application qui permettrait aux paysans burkinabés de connaître répidement, en envoyant un simple SMS, les quantités d'eau tombées sur leurs champs. Ensuite, ils tentent de mobiliser d'autres chercheurs et des opérateurs téléphoniques de la zone tropicale, afin de mettre en oeuvre l'idée dans d'autres pays. En mars 2015, ils ont organisé à Ouagadougou un colloque international consacré au sujet. Ils espèrent que ce sera le premier d'une longue série.

Un point sensible sera l'établissement d'un cadre juridique pour la communication par les opérateurs téléphoniques de leurs données d'exploitations. Ceux-ci sont en effet toujours prudents. En l'occurence, il ne s'agit pas de données personnelles, à partir desquelles on pourrait obtenir des informations privées sur les abonnés. Néanmoins, elles pourraient renseigner sur la qualité du réseau d'éventuels concurrents, susceptibles d'en tirer des arguments commerciaux.

Pour un schéma illustrant le principe, voir la page consacrée au projet sur le site de l'IRD.










 De droite à gauche : François Zougmoré, Marielle Gosset et Frédéric Cazenave, en compagnie d'Albane Canto, d'Environnement Magazine.

samedi 10 octobre 2015

Paludisme et végétation


Une plante tropicale sud-américaine favorise
la diffusion du paludisme en Afrique de l'est.


Le prix Nobel de physiologie/médecine 2015 a récompensé la chinoise Youyou Tu pour « ses découvertes concernant un nouveau traitement contre le paludisme ». Toutefois, aujourd'hui, la meilleure façon de ne pas souffrir du paludisme reste de ne pas se faire piquer par un moustique du genre Anopheles porteur du parasite à l'origine de la maladie. Or, Vincent Nyasembe, du Centre international de physiologie et d'écologie des insectes (ICIPE) de Nairobi, au Kenya, et ses collègues viennent de montrer, dans la revue scientifique PlosOne, qu'une plante originaire d'Amérique, qui a aujourd'hui envahi une bonne partie de l'Afrique, favorise la survie de ces moustiques.

Selon les plus récents chiffres donnés par l'OMS, en 2013, près de 200 millions de cas de paludisme ont été recensés dans le monde. Le continent africain paie le plus lourd tribut, avec près de 90% des 584 000 morts. Et 78% de ces morts sont des enfants de moins de 5 ans.

L'une des difficultés de la lutte contre le paludisme tient à son mode de transmission. La maladie est en effet causée par un parasite, du genre Plasmodium (4 espèces sont concernées). Mais une partie du cycle de vie de ce parasite se déroule dans l'intestin d'un moustique anophèle. En piquant une personne infectée, puis des personnes saines, ce moustique répand le paludisme.

Les anophèles, toutefois, ne se nourrissent pas seulement de sang. Comme bien d'autres insectes, ils apprécient les fleurs, qui leur fournissent, par leur nectar, sucres et protéines utiles à leur survie. Les entomologistes kényans et leurs collègues se sont demandés si l'envahissement de certains environnements par la plante Parthenium hysterophorus, originaire d'Amérique, pouvait influer sur cette survie.

Ils ont donc soumis des femelles (les mâles ne piquent pas l'homme) de l'espèce Anopheles gambiae à différents régimes alimentaires. Plus précisément, ils ont comparé leur survie à deux semaines lorsqu'elles se nourrissaient exclusivement sur des fleurs de Parthenium hysterophorus, ou de celles de deux autres plantes communes au Kenya, Ricinus communis, et Bidens pilosa. Résultats : Ricinus communis est la plus favorable, devant Parthenium hysterophorus ; Bidens pilosa, cultivée comme légume pour l'alimentation humaine, réussit en revanche beaucoup moins aux moustiques.

Une analyse chimique plus poussée du contenu des intestins des moustiques à différentes étapes de leur alimentation montre par ailleurs que Parthenium hysterophorus leur fournit plus de lipides que les deux autres plantes. Or les lipides interviennent à la fois dans la viabilité des oeufs et dans les interactions entre le moustique et le Plasmodium. Au-delà de la survie des individus, l'impact de Parthenium hysterophorus sur leur capacité à se multiplier et à favoriser le développement du parasite mériteraient d'être étudiés.

Cette étude incite, selon les auteurs, à lutter contre l'envahissement par Parthenium hysterophorus. Dans ce cas précis, ce n'est qu'une raison de plus : la plante est toxique pour l'homme et pour le bétail. Mais on pourrait plus largement s'interroger sur l'impact des cultures commerciales, qui attribuent d'immenses superficies à des plantes importées ou autrefois confidentielles, sur la survie des anophèles et la propagation du paludisme.